Les conséquences patrimoniales d'un mariage sans frontières

Les mariages entre personnes de nationalités différentes, les mariages célébrés à l'étranger, la vie commune à l'étranger n'ont plus rien d'exceptionnel. Selon les derniers chiffres disponibles de INSEE, un peu plus de 40 000 mariages ont uni en 2012 en France des citoyens de nationalité française et étrangère ou des époux étrangers établis en France, soit près de 17 % des mariages célébrés cette année-là, sans oublier, les Français qui se marient à l'étranger. Le changement de lieu de résidence de l'un des époux ou des deux n'est pas sans conséquences sur le patrimoine du couple. Les règles de droit international privé ont évolué avec l'entrée en vigueur au 1er septembre 1992 de la Convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Pour éviter toute déconvenue, il est généralement préférable d'établir un contrat de mariage qui définisse sans ambiguïté le régime matrimonial applicable.

Convention de La Haye : kezako ?

La Conférence de La Haye est une organisation intergouvernementale dont le but est de travailler à l'unification progressive des règles de droit international privé. Une soixantaine de pays en sont membres, dont la plupart des pays européens et ceux du continent américain, quelques pays d'Afrique (dont l'Afrique du Sud, l'Egypte et le Maroc) et du continent asiatique (dont le Japon, la Chine, l'Inde et la Corée-du-Sud).

Seulement trois pays ont ratifié à ce jour la convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux : la France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 1992.

La convention de 1978 présente néanmoins un caractère universel, à savoir qu'elle s'applique dans chaque Etat contractant même si la nationalité ou la résidence habituelle des époux ou la loi applicable ne sont pas celles d'un Etat contractant (article 2).

Les couples mariés depuis le 01.09.92

Les époux ne signent pas de contrat et laissent faire la loi

En l'absence de contrat, les principes de la convention de la Haye s'appliquent : le statut matrimonial des époux ne dépend ni de leur nationalité ni du lieu de leur mariage, mais du pays où ils établissent leur première résidence commune, quelle que soit la durée du mariage.

Par exception, la loi nationale commune des époux peut trouver à s'appliquer, dans certains cas, comme par exemple l'absence de résidence commune (ex : expatriation pour raisons professionnelles de l'un des époux).

Enfin, lorsque les époux n'ont ni de résidence commune ni de nationalité commune, leur régime matrimonial doit être soumis à la loi de l'Etat avec lequel ils présentent les liens les plus étroits.

Par exemple : deux époux de nationalité française vivant séparément, l'un en Italie, l'autre en Espagne, sont soumis à la loi française.

Ainsi, l'absence de choix volontaire peut-elle engendrer des situations paradoxales pour les époux. Par exemple, une Française se mariant avec un Néerlandais et s'installant de ce fait aux Pays-Bas, verrait son bien immobilier acquis avant mariage tomber dans la communauté du fait du régime légal des Pays-Bas. Autre exemple : deux Français se marient puis vivent en Grande-Bretagne pendant quelques temps avant de regagner la France, leur mariage est soumis au régime légal anglais de séparation des biens.

Le principe de la Convention peut avoir des conséquences encore plus inattendues : par exemple, certains pays interdisent en effet tout changement de régime matrimonial (au Portugal, par exemple).

Le régime légal matrimonial dans quelques états
Allemagne Participation aux acquêts
Autriche Séparation de biens
Belgique Communauté de revenus et d'acquêts
Chine Proche de la communauté universelle
Espagne Communauté de biens
Etats-Unis Séparation de biens
Communauté réduite aux acquêts (dans quelques Etats)
Italie Communauté de biens
Japon Séparation de biens
Luxembourg Communauté d'acquêts
Maroc Séparation de biens
Pays-Bas Communauté universelle
Portugal Communauté de biens
Royaume-Uni Séparation de biens
Suisse Participation aux acquêts
Tunisie Séparation de biens
Turquie Participation aux acquêts

Gare aux effets du changement automatique de loi !

Le second effet principal de la convention de La Haye est le changement automatique de régime matrimonial, sous certaines conditions, lorsque les époux changent de lieu de résidence. Dans ce cas, en effet, sauf opposition expresse des époux, la Convention prévoit la substitution automatique, mais sans effet rétroactif, de la loi du nouveau lieu de résidence habituelle des époux à celle qui était précédemment applicable.

Il existe trois cas de changement automatique :

  • 1er cas : il concerne les époux de nationalité commune qui se sont mariés et ont vécu quelques années dans un pays étranger puis fixent à nouveau leur lieu de résidence habituelle dans leur Etat d'origine.
    >> Exemple : deux époux français se marient et vivent les premières années de leur union en Espagne, leur mariage est soumis à la loi espagnole. Ils reviennent habiter en France, la loi française s'appliquera automatiquement.

  • 2e cas : il concerne les époux résidant habituellement depuis plus de 10 ans dans un Etat qui ne serait plus celui du premier domicile conjugal. Le mariage est dès lors soumis à la loi de cet Etat.
    >> Exemple : un couple italo-belge se marie et réside en France, leur mariage est soumis à la loi française. Par la suite, il réside en Grande-Bretagne pendant 15 ans, leur mariage est placé sous la loi anglaise.

  • 3e cas : il concerne les époux soumis à leur loi nationale commune faute de résidence commune au moment du mariage. Dans ce cas, en cas de rapprochement, la loi de l'Etat de résidence peut devenir, sous certaines conditions, applicable.
    >> Exemple : monsieur de nationalité portugaise travaille en France et madame également de nationalité portugaise est restée au Portugal. A défaut de résidence commune, la loi portugaise s'applique à leur mariage. Madame vient rejoindre son mari en France, leur mariage peut être soumis automatiquement à la loi française.

Ainsi, selon ce principe de changement automatique, et si l'on pousse le raisonnement à l'extrême, les époux peuvent, sans même le savoir, changer trois fois de régime matrimonial en 30 ans de mariage au gré des changements de résidence, tantôt sous un régime communautaire, tantôt sous un régime séparatiste...

Le changement automatique de loi n'ayant pas d'effet rétroactif, il obligera lors d'un divorce à prendre en compte la succession des régimes, principalement pour déterminer la nature des biens appartenant aux époux.

Les époux peuvent désigner par contrat la loi applicable

France / Allemagne : création d'un régime matrimonial commun

La France et l'Allemagne ont conclu un accord en février 2010 permettant la mise en place d'un régime matrimonial optionnel commun de participation aux acquêts.

Ce régime, choisi par contrat de mariage, comprend des règles identiques dans les deux pays. Il n'est pas réservé uniquement aux ressortissants français ou allemands. Il peut être choisi par les époux dont la loi applicable est celle de l'Allemagne ou celle de la France, quelle que soit leur nationalité.

La France a ratifié cet accord par le biais de la loi du 28 janvier 2013.

S'ils le souhaitent, les époux sont libres de désigner avant leur mariage et par contrat de mariage la loi applicable à leur régime matrimonial.

Ce principe de la liberté des époux comporte des limites. Ainsi les époux ne peuvent-ils désigner que la loi d'un Etat :

  • dont l'un a la nationalité,
  • ou sur le territoire duquel l'un a sa résidence habituelle,
  • ou sur le territoire duquel l'un des époux établira une nouvelle résidence habituelle après le mariage.

Par exemple, deux futurs époux, l'un français, l'autre allemand, peuvent choisir :

  • la loi française ou allemande,
  • ou la loi italienne, si l'un dispose de sa résidence habituelle en Italie,
  • ou encore la loi espagnole, s'ils s'installent en Espagne après le mariage.

En optant pour la loi d'un Etat, les époux peuvent choisir entre le régime légal ou l'un des régimes conventionnels prévus par la législation de cet Etat.

Les immeubles détenus par le couple constituent un cas particulier. Malgré le principe de l'unicité du régime matrimonial, les époux peuvent :

  • soumettre les immeubles qu'ils possèdent, ou certains d'entre eux, à la loi de l'Etat où ils sont situés,
  • et également prévoir que les immeubles dont ils deviendraient propriétaires par la suite soient soumis à la loi de leur situation.

Par exemple, deux futurs époux, l'un français, l'autre italien, optent pour le régime légal italien, mais peuvent décider :

  • de soumettre à la loi espagnole la résidence secondaire détenue par l'un, si celle-ci est située en Espagne,
  • et convenir que les immeubles acquis en France soient soumis à la loi française.

Les couples mariés avant le 01.09.92

Pour les couples mariés sans contrat avant le 1er septembre 1992, les anciennes règles de conflits de lois restent applicables. Le droit international privé français, au nom du principe fondamental de la volonté présumée des époux, retient généralement le critère du premier domicile matrimonial, peu importe qu'il y ait eu changement de domicile matrimonial ou de nationalité après le mariage.

Ces couples ont la possibilité de modifier la loi jusqu'alors applicable à leur régime matrimonial, afin de l'adapter à un nouveau contexte patrimonial. Les époux peuvent choisir un Etat selon les mêmes conditions que pour les mariages postérieurs à la convention de La Haye.

Le changement de loi s'effectue par stipulation expresse, par écrit passé dans les formes d'un contrat de mariage, devant notaire, sans contrôle judiciaire (en effet, en France, en temps normal, le changement de contrat de mariage doit, dans certains cas, être homologué par le juge aux affaires familiales).

La nouvelle loi s'applique :

  • rétroactivement au jour du mariage,
  • en principe à l'ensemble des biens des époux, y compris ceux acquis avant le changement de loi, sauf si les époux en décident autrement.

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